En montrant que le droit au corps de l'autre est aussi, à partir du XIIe siècle, au coeur de l’institution du mariage, Marta Madero éclaire d’une manière nouvelle une histoire – celle des relations charnelles et des liens matrimoniaux – qui a fait pourtant l’objet de nombreux travaux ces dernières décennies. Elle a découvert en effet que les canonistes du XIIe au XVe siècle construisent un régime juridique des rapports de chair avec les règles que le droit romain appliquait aux rapports de possession et de propriété des hommes sur les choses et même à la subordination des choses entre elles. L’objet du consentement est bien, dès le XIIe siècle – on a eu tendance à l’oublier –, le droit au corps du conjoint. Mais est-ce que ce droit s’exerce sur une chose qui serait le corps, ou sur une partie du corps ? Ou bien s’agit-il d’une servitude réelle que ce corps porte comme l’on dit qu’un champ est grevé d’une servitude de passage attachée aux champs voisins ? Quels sont les actes qui font naître ou cesser ce droit au corps du conjoint ? Peut-il renaître, et comment ? Invoquer le droit au corps de l’autre, c’est aussi, on le comprend alors, une autre façon de purifier les liens de la chair comme les alchimistes éliminent les scories de la matière. Et l’œuvre au noir des canonistes et des juges ouvre ainsi le vaste espace d’une casuistique dont l’étude nous prépare à mieux comprendre sans doute les méthodes et l’historicité du droit contemporain, mais aussi peut-être la préhistoire de nos sexualités.