Sous l'impulsion des enjeux liés aux changements climatiques, la problématique du rapport au vivant est devenu centrale dans les recherches en sociologie animale, en études environnementales ou relevant des science and technology studies. On assiste en effet à un foisonnement de travaux ethnographiques portant sur différentes espèces – animales, végétales, microbiennes, fongiques –, qui démontrent l’enchevêtrement complexe et l’interdépendance relationnelle de l’ensemble des espèces.
Le renouvellement théorique et méthodologique amorcé par ce « tournant vitaliste » en sciences sociales s’accompagne, paradoxalement, d’une indifférenciation conceptuelle entre organismes biologiques et artefacts techniques, désormais regroupés sous la notion abstraite de « non-humain ». Partant du constat que cette notion procède d’une logique d’indifférenciation qui rend difficilement intelligible la spécificité des matériaux vivants produits dans le cadre de la bioéconomie globalisée (cellules, gamètes, gènes, micro-organismes, tissus, etc.), ce numéro propose d’interroger le rapport au vivant tel qu’induit par la transformation de la biologie en technologie, mais aussi la spécificité concrète de ces matériaux vivants, tant du point de vue de leurs caractéristiques matérielles (reproduction, plasticité, adaptabilité, croissance, réactivité, etc.) que des imaginaires sociotechniques dont ils sont porteurs.
Alors que l’on s’inquiète du déclin de la biodiversité, comment définir et analyser la prolifération toujours croissante d’espèces hybrides et de matériaux vivants produits par les biotechnologies ? L’approche matérialiste qui guide les textes de ce dossier vise à ouvrir de nouvelles pistes de réflexions et d’enquêtes autour du statut particulier de ceux-ci et des ambiguïtés soulevées par la production et l’usage industriel de la matière organique.